Comment éviter le langage capacitiste ?

Cet article vous propose de découvrir ce qu’est le capacitisme et pourquoi il est important de s’en soustraire. Vous y trouverez également des pistes pour adopter un langage adapté et quelques œuvres d’art destinées à nous faire réfléchir.

Note avant de commencer votre lecture :

Dans cet article, j’utiliserai le terme « personnes avec une particularité » pour parler des individus qui ont une déficience, un trouble, une incapacité, un diagnostic, temporaire ou permanent, et qui s’identifient au qualificatif « ayant un handicap ». Le « handicap » aujourd’hui désigne une interaction entre l’environnement et les caractéristiques personnelles. Ainsi, dire « personne handicapée » ou « personne en situation de handicap » ne permet pas de parler avec justesse des personnes qui subissent des oppressions du fait de leur physique ou de leur mental.

Les mots que nous choisissons ont un impact. Une expression d’apparence anodine peut en réalité être porteuse de significations dégradantes. En nous exprimant de manière adaptée, nous choisissons de délaisser le capacitisme au profit d’une conception inclusive du handicap.

Qu’est-ce que le capacitisme ?

Le capacitisme, cette tendance discriminante

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de capacitisme ou de validisme. Tous deux désignent le même système de pensée discriminatoire à l’encontre des personnes ayant une particularité visible ou invisible.

Définition du capacitisme

Le capacitisme se base sur l’idée qu’une personne avec une particularité est moins capable, et donc, moins légitime dans l’exercice de ses droits. On parle ici de droits qui paraissent naturels, celui de fonder une famille, de travailler dans le secteur de son choix, de voter, de vivre en dehors d’une institution(Lorsqu’une personne est placée contre son gré dans un établissement, et qu’elle n’est plus libre de prendre des décisions pour sa vie quotidienne, on parle d’institutionnalisation. Cette façon de prendre en charge les personnes avec une particularité renvoie à les traiter comme des objets de soin et non comme des citoyens ayants des droits.)

Le capacitisme renvoie à une conception biomédicale

Dans certains pays, y compris en France, le recours aux institutions plutôt qu’à des dispositifs favorisant l’autonomie se traduit en une discrimination structurelle qui renvoie à une conception biomédicale du handicap. Dans cette approche qui date de l’après Première Guerre Mondiale, la personne est prise en charge à des fins de ré-adaptation pour se conformer à une société de « valides » qui nie l’altérité.

En somme, une société capacitiste est tout l’inverse d’une société inclusive.

Concrètement, qu’est-ce qu’une société inclusive ?

Si notre société devenait inclusive instantanément, l’égalité des chances serait respectée et tout serait accessible à tout le monde.

Des démarches administratives ou financières en passant par les systèmes de santé ou d’éducation, les accès aux infrastructures et aux logements, les services de transport, les loisirs, les activités culturelles ou professionnelles, jusqu’à l’accès à l’information.

Vue d'immeuble dont la façade est recouverte d'une fresque murale. 2 enfants sont représentés, en train de construire un bâtiment très coloré  comme on construirait une maison en "lego". Autour d'eux, des buildings ternes et uniformes.
Homework, Millo, Ontinyent Valencia, 2023

Une société inclusive offre différents niveaux d’aide

  • Aides techniques (béquille pour marcher, plage braille, sous-titrage…)
  • Aides humaines (vélotypie, interprète en langue des signes, aide à domicile…)
  • Aides à la mobilité (ascenseur, rampe, véhicule aménagé…)
  • Aide financière
  • Pas d’aide du tout, la personne est autonome

La société actuelle n’est pas suffisamment inclusive

  • De nombreuses démarches restent complexes
  • L’école inclusive pourrait l’être plus encore
  • De nombreux bâtiments publics restent inaccessibles
  • De nombreuses gares restent inaccessibles
  • La culture d’entreprise inclusive n’est pas encore répandue
  • De nombreux sites web et applications ne sont pas aux normes d’accessibilité

L’inaccessibilité des services du quotidien peut être assimilée à de la discrimination institutionnelle. Pour rappel :

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, […], de leur handicap, […].

Article 225-1 du Code pénal français
Vue d'un mur extérieur peint d'une fresque représentant une ville en noir et blanc. La ville se soulève comme un tapis et dessous 3 silhouettes humaines sont comme écrasées par le poids de la ville.
Sans titre, Hyuro, Valencia, 2012

Vous l’aurez compris, l’ensemble de la société est concerné par un changement d’approche indispensable. Si nous redonnons aux personnes concernées, le pouvoir d’exercer leurs droits et si nous leur permettons d’occuper des postes de décisionnaires, notre société gagnera en inclusivité. À notre échelle également nous pouvons agir, en modifiant notre regard en nous extrayant des stéréotypes sur les personnes qui ont une particularité.

Parler de handicap en 2024

Maintenant que nous avons défini le capacitisme, comment s’en soustraire ? Le vocabulaire que nous employons influence notre façon de penser, c ‘est pourquoi l’usage d’un langage adapté participe pour beaucoup à une tendance inclusive. L’Organisation des Nations Unies (ONU) a émis en 2019 des lignes directrices synthétisées en principes clés.

Les 8 principes clés

1. Mettre la personne au 1er plan

Préférer : « une personne handicapée », « une personne ayant un handicap », « une personne ayant une trisomie », « les femmes ayant un handicap intellectuel », « X. a un handicap moteur »
à : « les handicapés », « un handicapé », « un trisomique »

2. Éviter les étiquettes et les stéréotypes

Vous pouvez discuter de handicap avec respect, si la personne concernée est d’accord. En revanche, si vous voulez désigner une personne qui a une particularité, il vaut mieux éviter de parler de cette particularité, sauf si c’est utile dans la conversation.

3. Ne pas héroïser ni parler de « vulnérabilité » ou de « souffrance »

Le lexique du combat est à éviter, tout comme l’idée de vulnérabilité. Lorsque les obstacles et les circonstances à l’origine de la vulnérabilité ont été écartés, ces personnes ne sont plus vulnérables.

Éviter : « il surmonte son handicap avec courage », « il a survécu à un handicap », « elle se bat contre son handicap », « il souffre de handicap »

4. Ne pas infantiliser

Avec un adulte, un langage ordinaire, éventuellement simplifié est approprié. Infantiliser risque de produire un effet négatif sur le développement et l’épanouissement de la personne.

5. Ne pas utiliser de termes négatifs

Préférer : « elle utilise le braille », « elle sait lire le braille »
à : « elle est aveugle », « ce sont des personnes vulnérables »

6. Ne pas utiliser d’euphémismes condescendants

Si l’on minimise la situation de handicap que peut connaître une personne, cela revient à ignorer cette situation. Agir de la sorte n’encourage pas une politique de mise en accessibilité. Ne pas non plus utiliser « spécial » pour parler d’un système, car c’est un mot qui met à l’écart.

Éviter : « personne handicapable », « personne différente » ou « personne extraordinaire »
Préférer : « besoins adaptés », « assistance adaptée », « éducation adaptée », « enseignement adapté »
à : « besoins spéciaux », « assistance spéciale », « éducation spécialisée », « enseignement spécialisé »

7. Être en situation de handicap n’est ni une maladie, ni un problème

La situation de handicap n’est pas nécessairement visible et ce n’est pas non plus pathologie. En 2023, le handicap est considéré comme l’interaction entre des environnements plus ou moins facilitateurs et les caractéristiques personnelles d’une personne.

Éviter absolument : De se référer au modèle biomédical qui considère le handicap comme un problème de santé, une déficience liée à un traumatisme ou une maladie qu’il faut soigner ou guérir.
Éviter : D’évoquer le modèle caritatif qui considère les personnes avec une particularité comme des objets de charité ou de pitié.
Préférer : Un modèle basé sur les Droits de l’Homme qui place les personnes avec une particularité au même niveau que les personnes qui n’en ont pas.

La patineuse Tracie Gargacochea effectue une figure d'équilibre en fauteuil roulant, les yeux masqués par des lunettes de soleil et le visage tourné vers l'appareil photo.
Skater Girls, Jenny Sampson, autour de 2010

8. Utiliser des termes appropriés dans les échanges de la vie courante

Les termes liés à des caractéristiques personnelles ne doivent pas être utilisés comme insulte ou pour exprimer quelque chose de négatif.

Éviter absolument : « dialogue de sourds », « [faire quelque chose] à l’aveugle », « c’est boiteux », « je dois avoir Alzheimer », « cette vision politique est schizophrène », « tu es vraiment parano »
Éviter : « être aveugle à », « tomber dans l’oreille d’un sourd », « être sur un pied d’égalité »

Conclusion

Encore aujourd’hui, la question du handicap est souvent abordée avec maladresse.

En continuant à considérer les personnes avec des particularités comme des individus à protéger à tout prix, ou au contraire, en laissant la société les opprimer parce qu’elles ne correspondent pas à une norme sociale, c’est une véritable discrimination qui s’opère.

Saviez-vous qu’une personne qui a une particularité physique ou mentale est plus susceptible d’être victime de violences physiques, verbales ou de maltraitance administrative ? À ces violences s’ajoutent les nombreuses discriminations quotidiennes favorisées par un état d’esprit capacitiste.

On observe ainsi tout l’enjeu autour de cette transformation du vocabulaire lié au handicap. Porter un regard différent contribue à retirer certains obstacles sociaux et encourage une réflexion collective sur les moyens de rendre la société inclusive pour tous.


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